Mes micro-nouvelles


 

Le pot à confiture

 

            Je suis un collectionneur invétéré, Un collectionneur de collections. J’aime les objets anciens et je les chine tout au long de la semaine. Je les restaure, je les mets en scène dans mon intérieur. Parmi tous ces objets il en est un que j’affectionne tout particulièrement : Le pot à confiture en verre.

            Tout a commencé un beau matin où la nostalgie de mon enfance s’est rappelée à mon bon souvenir. Cela faisait longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Depuis l’âge de vingt et un ans, je vis dans la région centre. Ma vie professionnelle n’a pas laissé à mon cœur le loisir de s’épancher. Alors pourquoi ce jour là ai-je ressenti une irrésistible envie de renouer avec ces images du passé ? Serait-ce mon malaise face à ce monde qui s’intéresse davantage à l’avoir qu’à l’être et ce sentiment soudain de solitude qui en découle ? Serait-ce ma dernière réunion de famille autour de mon papa pour fêter ses quatre-vingts-ans et la prise de conscience de ce temps qui passe et que je ne partage pas assez avec les miens ?    

            Le lendemain était jour de brocante sur le mail à Orléans et  je m’étais mis en tête de dégoter quelques anciens pots à confiture. Il me semblait que ces objets populaires manquaient à mon décor. Je revoyais les immenses placards où étaient alignés tous ces bocaux portant de belles étiquettes que ma grand-mère paternelle avait conservées de ses années d’école. Elle avait gardé une écriture très scolaire et de sa plus belle plume elle avait écrit à l’encre violette : melon, fraise, cerise, prune, rhubarbe… La seule lecture de ces mots suffisait à me faire saliver et j’attendais avec impatience l’heure du goûter pour voir s’étaler ce doux nectar sur une grosse tranche de pain de campagne généreusement tartinée de beurre. Ce moment, il fallait le gagner en portant main forte à mes grands-parents qui exploitaient plusieurs hectares de vergers.

            Cela commençait le matin très tôt, à la fraîche, comme disait mon papy Didier. Je passais mes vacances à Feugarolles, un petit village du Lot et Garonne, et je me faisais une fierté de travailler comme les grands. Nous avions un des deux derniers tacots du village et assis à côté de Grand-père je posais ma petite main sur la sienne qui passait les vitesses. Parfois il me prenait sur ses genoux et je tenais fièrement le volant.

            Au moment où je vous parle, je regarde un album de cartes postales anciennes du village de mes vacances et je m’arrête sur l’une d’entre elles qui représente une scène de vie devant le bistrot que tenait mon arrière-grand-mère Rachel. Elle était la maman de Mamie Andrée. J’allais tous les dimanches lui rendre visite. Elle se tenait assise sur un banc avec sa voisine et toutes deux commentaient la vie qui se déroulait devant elles, route de Buzet. En regardant cette image je me revois jouer avec mon papa au baby foot dans le seul troquet du village, celui de Grand-mamie. À peine une heure que je suis penché sur cette carte et je vois défiler toute mon enfance. Sur une étagère juste au dessus de ma tête, un pot à confiture trône en bonne place dans ma collection et je le regarde avec un plaisir tout particulier. Certes il est magnifique et rare avec cette inscription : « Prunes » gravée dans le verre, agrémentée de part et d’autre de dessins de fruits. Son histoire, que vous n’allez pas tarder à découvrir, me touche particulièrement.

             Imaginez-vous que, quelques jours auparavant, j’avais posé une enchère sur ce joli pot. Oui ! Je reconnais qu’Internet vient quelque peu rompre le charme d’une aventure romanesque mais j’avoue que je me laisse parfois aller à la facilité, guidé par ma boulimie de collectionneur en quête de l’objet rare. Un bocal orné d’une prune d’Agen ne pouvait appartenir à une autre collection que la mienne et j’étais prêt à faire des folies pour satisfaire ce petit caprice. Comprenez ma joie quand l’objet tant convoité me fut acquis. Un message me demandant de payer m’indiqua l’adresse du vendeur qui habitait au Passage d’Agen. Je joignis à mon paiement un petit mot : « Je suis très heureux de vous acheter cet objet venant de ma région natale. Mes grands-parents habitaient Feugarolles ». Il me répondit par mail : « J’ai acheté ces pots à un monsieur qui avait débarrassé le bar de ce village ». C’est avec une immense émotion que je lui répondis : « ce troquet appartenait à mon arrière-grand-mère ».

            Quelques jours plus tard, alors que j’attendais avec impatience le livreur de la poste, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je le vis arriver, chargé d’un énorme colis qui m’était destiné. Chez moi j’ouvris avec une grande excitation ce paquet dont la taille était démesurée par rapport à un minuscule bocal à confiture et je découvris cinq pots tous aussi jolis les uns que les autres, accompagnés d’un mot d’une extrême gentillesse : « Ces pots ont été trouvés chez votre arrière-grand-mère je vous les restitue et vous les offre de bon cœur ».

            Petit pot à confiture, parti du Passage d’Agen, est aujourd’hui entre mes mains en compagnie de ses petits frères pour que mon histoire familiale n’ait pas de fin.

 

      

 

                                                                                                        


Pétunia 

            Ce samedi matin, je m’étais levé à la fraîche. Le ciel très dégagé nous promettait  une journée ensoleillée. Une fois sur place, je me montrai impatient d’abandonner un instant ma 4L fourgonnette pour partir à l’aventure. Elle était ma compagne de promenade. Avec elle,  je poursuivais ma chasse aux trésors.

            Les brocanteurs commençaient leur déballage tandis que je courais les étales pour un premier aperçu. Je rencontrai une jeune femme qui n’était pas là habituellement. Elle vendait quelques pots à confiture qui pourraient compléter ma collection mais j’avoue que je fus plus attiré par son petit minois. Elle me raconta ses débuts. Très vite nous fûmes sur la même longueur d’onde. Nous avions en commun la passion des objets et une attirance pour l’ambiance des marchés. Une complicité naissante s’installait  peu à peu entre nous.

            Je n’eus d’autre préoccupation, depuis ce jour là, que celle de revoir ma brocanteuse tous les samedis, mais je m’interdisais l’idée de quelque relation amoureuse entre nous. Elle était de vingt ans plus jeune que moi. Habitué aux amours platoniques, cela ne m’arrêtait pas. Mon côté poète se contentait de ce peu. Tout le monde l’appelait Pétunia et j’ignore encore aujourd’hui son vrai nom.

            Un samedi de juin, j’étais au rendez-vous des chineurs. J’avais l’intuition que quelque chose de différent allait m’arriver : Pétunia était là. Elle me fit deux bises et me dit : « Tu es beau ». Je fus surpris par cette déclaration. Le lendemain était jour de grande brocante, à Beaugency. Je lui dis : « demain tu y seras ?                                                                                                                                              

           - Je m’y suis pris trop tard et je n’ai pas d’emplacement. Me répondit-elle.

- Qu’à cela ne tienne, j’en ai pris un devant chez moi pour ne pas être dérangé mais je n’ai pas l’intention de déballer. Si tu veux, tu peux t’y installer et je t’attendrai avec le café et les croissants.

           - C’est drôlement chouette de ta part » me dit-elle.

           Ce dimanche matin, le bruit des voitures des exposants me réveilla. Mon Dieu ! Ma petite Pétunia doit être arrivée. Vite, le café ! Je sautai dans mon jean, je sortis sur le pallier et lui dis: « Tu es là ? » Elle me répondit d’un sourire et d’un bisou sur ma joue. Timidement, je lui proposai : « café et croissants, ça te va ? »

            Passionné de brocante, je prêtai main forte à Pétunia qui le soir m’invita à la pizzeria du pont pour me remercier de mon aide et de mon accueil. Autour d’une table éclairée par une bougie, l’instant fut magique. Un vent léger s’était levé et la flamme dansait au rythme du silence qui accompagnait cet instant. Très vite la discussion s’engagea et elle me raconta sa vie. « Je me suis lancée dans la brocante par amour des vieux objets et de la vie qui va avec mais je voudrais, un jour, devenir éducatrice comme toi.

            - C’est marrant ce que tu me dis car moi je rêve depuis toujours d’être brocanteur».

            J’étais sur un petit nuage et je rêvais de cet ailleurs que nous étions en train de réinventer. Mais déjà Pétunia devait rentrer chez elle. Le lendemain elle se rendrait au bord de la mer et moi je resterais avec mon vague à l’âme.

            Cela faisait quatre jours qu’elle était partie quand je trouvai une enveloppe dans ma boîte aux lettres. Je l’ouvris et je lis : « Je suis assise sur la plage, la mer est belle et je voudrais être dans tes bras. Elle rentrerait dans trois jours. Je lui enverrais un énorme bouquet de fleurs qu’elle trouverait en arrivant. Pendant ces quelques jours, je partis au travail en chantonnant et quand un adolescent m’accueillit avec cette réflexion : « Pourquoi as-tu vendu ta belle Clio pour cette vieille 4L ? Je lui répondis : Chacun voit le bonheur à sa façon » Comment lui expliquer que cette voiture avait, depuis que je la possédais, tant d’histoires à raconter et qu’elle serait l’alliée d’une nouvelle vie dont je rêvais. Je ressentais de plus en plus l’envie d’être brocanteur et ma rencontre avec Pétunia ne faisait que renforcer mes convictions.

            À son retour,  en voyant le bouquet de roses que je lui avais envoyé, elle prit le téléphone pour m’inviter à passer le week-end chez elle. Le lendemain elle m’accueillit d’un baiser sur les lèvres. Au menu du week-end : Restaurants, brocantes, restaurants, brocantes, et surtout des instants de tendresse et des nuits câlines qui ont fait de ces deux jours l’épisode de ma vie qui m’aura le plus marqué. Marqué par son originalité, par sa qualité, sa charge émotive, sa brièveté et son étrangeté. En effet, tout au long de ces journées, j’ai vécu un mélange de tendresse et de détachement auquel je n’étais pas préparé mais qui me fit comprendre très vite que notre histoire s’arrêterait le lundi matin. Pétunia m’avait raconté sa relation avec son papa et ses difficultés à rester stable dans une relation amoureuse. Je compris alors que : Au rendez-vous des chineurs, j’avais rencontré une fille qui vendait du bonheur, du rêve d’un ailleurs hérité du passé. Une vendeuse qui n’y connaissait rien mais qui en parlait si bien que je me suis pris un instant au jeu, tout en rêvant à nous deux. Nos routes s’étaient croisées le temps de nous enlacer. Nos quelques années d’écart lui avaient plu. Elle pouvait feindre d’aimer sans vraiment s’engager. Au rendez-vous du bonheur, j’avais rencontré une fille au surnom emprunté à une fleur qui n’avait jamais appris à s’ouvrir à la vie et qui se referma pour qu’un jour je l’oublie.

            Quelques années plus tard, un coup de téléphone me réveilla un matin. C’était elle. Elle m’annonça qu’elle venait d’être reçue au diplôme d’éducateur spécialisé. Elle avait rencontré un gentil garçon de son âge et dans son ventre, une petite Pétunia allait éclore à la vie. Moi je suis resté avec mes rêves de brocante et qui sait, peut-être un jour serai-je à mon tour sur un marché où une femme m’achètera un objet. Elle sera éducatrice et je pourrai donner alors, à cette jolie fleur, son véritable nom.